Les articles de Pierre G. Harmant
Un écrivain paresseux : Maxime Du Camp
En 1852, paraissait à Paris, un ouvrage illustré de photographies qui était l'oeuvre de Maxime Du Camp (1822-1894), relatant par l'image son magnifique périple en Moyen-Orient et en Égypte. Ce document rarissime, puisqu'il ne fut tiré qu'à 20 exemplaires, pouvait être acquis pour la coquette somme de 500 francs (or).
Les fracassantes actualités de 1848 (comme le dit l'un de ses contemporains) n'eurent sur lui pour effet que de lui faire boucler ses malles et retourner se plonger dans le silence éloquent et lumineux des régions orientales.
C'est ainsi de Du Camp, qui arrivait de Smyrne avec son livre charmant et coloré "Souvenirs d'Orient" s'en retourna, pour voir, pour écrire, pour rêver ; mais, n'ayant rien fait, se retrouva en France au sein des discussions politiques qui le firent immédiatement se perdre au fond de la Haute Égypte. Seulement, afin de pouvoir, dans ce troisième voyage, être un fidèle historien sans remords sans emporter de mètre ni de boussole d'inclinaison, être glaneur d'hiéroglyphes sans passer pour pédant, être conteur de merveilles sans être suspect d'exagération, Du Camp emporta dans ses bagages une chambre photographique et 2 ou 3 rames de papier...
C'est donc un amateur de voyage qui utilisait pour la première fois la chambre photographique comme témoin de ses propres visions (et cette expression, comme le remarque Francis Wey, devait remplacer celle d'artiste. Il a, pour contenter sa fantaisie, soutenir ses fatigues, bravé des dangers qu'un homme spécial n'affronterait que contre un honnête salaire, et mis au service de sa passion les ressources d'un instrument nouveau dont l'emploi avait pourtant été annoncé par Arago, au cours de sa mémorable péroraison du 19 août 1839 !
Il visita tour à tour, Jérusalem, la Terre-Sainte, la Syrie, la Basse-Égypte ; il remonta le Nil jusqu'au delà de la 2e cataracte, aux confins de la Nubie. Ce sont 200 "dessins photographiques", copiés dans les déserts où le passé parle encore par la voie des ruines, comme le dit Chateaubriand, 200 révélations étranges et précises de ces contrées que nous connaissons mal.
De ces épreuves, les moins intéressantes ont néanmoins la valeur d'un croquis fidèle, tandis que les trois quarts de l'album sont de très bonnes estampes, toujours bien tirées, très nettes.
D'après un calotype voici le colosse du Spéos de Phré en Nubie
taillé à même le roc. Le personnage donne l'échelle.
L'auteur avait fait des études d'art et possédait naturellement un goût très sûr qui faisait de lui un excellent paysagiste apte à reconnaître le point de vue avec sagacité : ses tableaux sont admirablement composés.
Qui n'aimerait suivre notre "amateur" photographe à la sortie de la première cataracte du Nil... Tranquille en apparence, et courant sans faire vaciller les reflets de ses rêves, le fleuve se présente de face, découpé en méandres gracieux, par des collines d'inégales grandeurs qui viennent expirer dans l'eau qu'elles entourent comme un cadre. Au loin, le Nil se raréfie, s'enfonce et disparaît parmi les coteaux que dominent des ondulations de montagnes.
Ces bords du Nil, vieux témoins d'une société disparue, inspirent une sorte d'effroi : le fleuve qui passe pour donner la fécondité aux plaines a fini par entraîner avec lui les terres auxquelles il avait prêté autrefois son limon. Ça et là surgissent quelques lits, comme des vases de fleurs le long de ces steppes mortes, tel celui qui porte le nom d'Éléphantine, en face d'Assouan : quelques mottes de terre retenues par des roseaux et qu'épuise de ses racines un bocage de palmiers.
Au Caire, par contraste on sent une sorte de gaîté devant le tombeau des Califes, puis c'est la mosquée de Naser-Huçan, avec ses pleins cintres et ses ogives, ses 2 dômes revêtus d'une dentelle de guipure, la mosquée du Sultan Berk'ok toute de marbres blancs et noirs presque vénitienne pour nous, à croire que les anciens trafiquants de la Perle de l'Adriatique avaient assimilé le goût arabe à leurs splendides fantaisies.
Autre image de notre photographe explorateur : à Thèbes, le palais de Karnak.
Le mélange d'arbres élancés, de minarets aigus, d'édifices carrés, de santons 1 aux dômes arrondis et couverts d'arabesques, donne lieu, souvent, à des paysages ravissants. L'un des plus fantastiques cependant est celui qui représente Sahonadji et le tombeau de Mourad Bey. La mosquée de Hou, triste et close comme un vaisseau démâté est plus étrange encore, mais moins lugubre qu'un certain couvent copte qui s'étale au bord de l'eau sur une falaise rocailleuse que le courant a ciselée. On aurait peine à imaginer qu'une civilisation était parvenue à s'épanouir sur ces rivages si l'on n'y rencontrait des monuments à profusion. Ces débris, loin d'animer ces contrées, ont été si bien assortis par le temps à la couleur du sol, la pierre taillée a tellement repris le grain des rochers, que ces pylônes, ces sphinx, ces colonnes trapues, avec leurs chapiteaux de lotus, apparaissent aux yeux étonnés comme des productions bizarres d'un pays tout parsemé de roches.
Maxime Du Camp entreprit-il pour son propre plaisir ce reportage photographique ou bien craignait-il de ne pouvoir disposer d'une mémoire suffisante pour lui permettre de consigner dans ses notes futures ses impressions de voyage ? Il n'en reste pas moins qu'il fut probablement le premier à oser partir avec une chambre sur le dos, en des contrées où le soleil ne pardonnait pas la moindre fuite dans les tissus de l'indispensable tente-laboratoire...
La prophétie d'Arago se réalisait point par point, et dix ans à peine s'étaient écoulés pourtant. Nous pouvons juger aujourd'hui du chemin parcouru.
- - Monument funéraire d'un saint. ▲