Les articles de Pierre G. Harmant
Paris... mai 1871
Au cours des terribles journées de la Commune, des excès furent commis de part et d'autre, les passions ayant débordé la raison. Lorsque le calme revint dans les esprits et dans les rues, un photographe anonyme fixa pour la postérité les images saisissantes de la capitale meurtrie. Nous avons pensé que ce reportage inattendu ne pouvait manquer d'attrait à la fois pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la photographie et pour ceux que l'histoire de Paris passionne. C'est cans ce but que nous vous le présentons. Photographies et textes originaux ont été choisis par P. G. Harmant parmi des documents conservés au Musée Kodak-Pathé et en archives privées.
L'Hôtel de Ville vu de la rue de Rivoli.
L'Hôtel de Ville : de qu'il reste des Grands Escaliers.
Angle de la rue de Rvioli et de la rue Saint-Denis.
Palais des Tuileries : Pavillon de Flore.
Palais des Tuileries : la Voûte de Diane
Place Vendôme : la colonne renversée.
A l'instant où la colonne s'abattit un dessinateur se trouvait là, mais hélas... point de photographe ! (Gravure sur bois de l'époque).
Le Ministère des Finances, ou ce qu'il en reste.
Au Palais Royal : ruines du Conseil d'Etat.
Le Palais de Justice incendié, entourant la Sainte-Chapelle intacte.
Le Palais de Justice : la Salle des Pas Perdus.
Rue Royale : un amas de décombres.
Carrefour de la Croix-Rouge, le magasin de nouveautés du "Cherche Midi" fut entièrement détruit.
Le Théâtre de la Porte Saint-Martin ne fut pas, non plus, épargné.
Le 28 janvier 1871, Paris, affamé, venait de succomber à la pression prussienne. Une guerre désastreuse se terminait par un armistice, désapprouvé, en particulier, par la Garde Nationale qui s'insurgeait le 17 mars, et installait au pouvoir une organisation parallèle au Gouvernement : c'était la Commune de Paris.
Une armée, rassemblée en toute hâte à Versailles par le Président Thiers, forte de 100.000 hommes, placée sous le commandement du Maréchal de Mac Mahon, décida la reconquête de la capitale. Rapidement la banlieue était reprise pour la partie qui n'était plus occupée par les troupes prussiennes, mais la Commune se retranchait dans Paris et établissait un quartier général à l'Hôtel de Ville.
Des barricades se dressèrent dans les rues, mais cinq corps d'armée (les Versaillais) parvinrent à pénétrer dans l'enceinte de Paris par le Point du Jour, Saint-Ouen, la Porte de Saint-Cloud et les Portes de Passy et d'Auteuil. Toutes les barricades durent être prises à revers, et les troupes gouvernementales manoeuvrèrent pour acculer les forces fédérées vers les Batignolles ou Ménilmontant.
Les fédérés, désespérant de leur propre cause, prirent alors la décision d'ensevelir avec eux l'armée sous les ruines de Paris. Des ordres d'incendie furent lancés, dont on lira quelques extraits officiels retrouvés, et, dans tous les quartiers, des légions de "fuséens" promenèrent leur torche et répandirent leur pétrole des Tuileries à la Bastille, du Panthéon à la Villette...
Tout brûlait à la fois, et partout : l'Hôtel des Finances, les Tuileries, une partie du Louvre, le Palais Royal, le Conseil d'Etat, la Chancellerie de la Légion d'Honneur, la rue du Bac, la rue de Lille, la Cour des Comptes, le carrefour de la Croix-Rouge, le Palais de Justice, la rue de Rivoli, l'Hôtel de Ville, le théâtre de la Porte Saint-Martin et celui du Châtelet, le théâtre Lyrique, la Manufacture des Gobelins, la place du Château d'Eau, la Bastille, les greniers d'abondance, l'Arsenal, le canal Saint-Martin qui charriait des torrents de pétrole enflammé, les magasins généraux de Paris, les docks de la Villette...
Paris n'était plus qu'un immense brasier de 40 km de circonférence !
Hôtel-de-Ville
"Le grand beffroi a disparu ; les fenêtres, que la pierre rongée à faites plus larges, sont béantes. Les entablements tremblent, mal soutenus par les pierres, devenues friables depuis que le feu les a mordues et descellées. La façade n'est plus que ruine et désolation. C'est à peine si l'oeil distingue encore les statues noircies de nos grands hommes, de nos échevins, de nos maires, la plupart mutilées par les balles et les obus".
Colonne Vendôme
Commune, en date du...
A Paris, le 25 avril 1871.
(Cachet rouge de la Commumne)
Le 16 mai 1871, la colonne était sciée à sa base, tandis que des cordages attachés à son sommet la tiraient vers le sol. A 5 heures, elle s'abattait sur le lit de sable et de paille qui lui avait été préparé. La violence du choc fut telle que les maisons en furent ébranlées, et que la Colonne, bien qu'elle se fut brisée en tombant, comprima le sol à l'endroit où se produisit sa chute.
L'un des instigateurs de cet acte était le peintre Gustave Courbet.
Rue de Rivoli
Sont détruits : le Ministère des Finances, les Tuileries ; entre la rue du Louvre et l'Hôtel de Ville, une immense ruine : le feu a tout dévoré. Il ne reste que les murs du magnifique immeuble, qui présentait dix fenêtres sur la rue de Rivoli : là se trouvaient les magasins du dentifrice Botot.
Le feu consume les nos 77, 79, 81 rue de Rivoli et ne s'arrête, ainsi, qu'à la rue du Louvre.
Place du Châtelet, le Théâtre Lyrique est détruit. Le square Saint-Jacques de la Bucherie a été défoncé pour permettre l'ensevelissement provisoire des cadavres d'insurgés.
Les Tuileries
Entre la rue de Rivoli et le quai de la Seine, le U formé par le Louvre et le Ministère des Finances était fermé par un corps de bâtiment, dans le même style : le Palais des Tuileries.
Vu de la place du Carrousel, on distinguait les ruines de la Salle des Maréchaux, les appartements impériaux. La grande entrée du Pavillon de l'Horloge était un moncceau de ruines ; l'escalier d'honneur n'existait plus. Toutes les décorations artistiques avaient disparu.
Le Pavillon de Flore, au Louvre, les Grandes Galeries, ont échappé au désastre. La partie la plus éprouvée est la galerie d'Apollon, mais, par une chance extraordinare, les admirables collections du Musée ont été épargnées par les flammes : seule la bibliothèque a péri.
Ministère des Finances
Le 22 mai, l'Hôtel des Finances était toujours aux mains des insurgés. C'est alors que parvint le document suivant :
Cabinet du Ministre
"Citoyen Lucay,
Faites de suite flamber Finances et venez nous retrouver.
Peut-être est-il permis de penser qu'on espérait y détruire le "Grand-Livre", sinon anéantir ce qui était le symbole de la proriété publique et privée ?
Les archives purent néanmoins être sauvées mais le bâtiment, ruiné par l'incendie, était entièrement à reconstruire.
Palais de Justice
Il apparaît que le destin s'acharne sur les Palais de Justice et vise à leur destruction par le feu. Celui de Paris connut les sinistres de 1618, de 1776 et celui, enfin, de 1871. Soit un incendie par siècle !
La Sainte-Chapelle fut épargnée, alors que le feu éclatait simultanément à la Préfecture de Police, à la Conciergerie, à la Cour de Cassation, aux Chambres Civiles et au Parquet du Procureur de la République.
Partout, les murs avaient été inondés de pétrole, et la plus grande partie des archives et des bibliothèques ont été consumées.
"La façade avait cruellement souffert mais résista aux obus et à l'incendie. L'intérieur, pourtant, offrait l'aspect d'un immense vaisseau noirci : une partie de la voûte s'était effondrée et, de l'ouverture béante tombait un flot de lumière sure une scène, qui n'était pas sans évoquer le décor du couvent des nonnes de "Robert le Diable".
Les Rues de Paris
RUE ROYALE, une barricade solide avait été édifiée à l'entrée de la place de la Concorde et dut être prise à revers. Les défenseurs se réfugièrent dans l'église de la Madeleine, pousuivis par les troupes gouvernementales, dont les boulets mutilèrent la façade. Pris, ils furent passés par les armes, mais avant, semèrent l'incendie. Le no 422 de la rue Saint-Honoré fut détruit avec les vingt plus belles toiles de Decamps.
"Le tiers de la rue est écroulé. La partie droite n'est qu'un monceau de ruines, depuis le passage Berryer jusque par delà la rue du Faubourg Saint-Honoré".
CROIX-ROUGE. Au Faubourg Saint-Germain, les dégâts purent être réduits en raison de la rapidité de l'intervention des troupes gouvernementales. Seul le magasin de nouveauté du "Cherche Midi", au no 2, fut entièrement détruit.
Conseil d'Etat. Légion d'Honneur.
Le mardi 23 mai, à 6 heures du soir, les troupes du Gouvernement avaient occupé le Palais Bourbon sans dommages, et les Fédérés mirent à exécution les ordres de l'Hôtel de Ville. Des tonneaux de pétrole furent apportés rue de Bellechasse et poussés dans la partie ouest du bâtiment. En même temps, les Gardes Nationaux du 67e bataillon enfonçaient les portes du Conseil d'Etat et lançaient dans la bibliothèque des matelas imbibés de pétrole. Le feu se communiqua rapidement à la Cour des Comptes, et consuma entièrement le Palais.
Théâtre de la Porte Saint-Martin
Le 25 mai, le restaurant Deffieux (noces et festins) flambait et le feu se communiquait à la maison voisine et au théâtre. En peu de temps, tout s'écroula. A travers le vide laissé par l'incendie, on pouvait voir, de la rue, l'énorme pan de mur qui séparait la scène de la salle.
90 ans se sont écoulés depuis ces évènements, et les traces de la folie des hommes se sont effacées. Mais, déjà, la photographie était là...
Note du webmaster
Attaché au pages de Kodéco je trouve un article du journal "Le Révélateur", organisme du PCF chez Kodak, dont l'auteur (anonyme) reproche violemment à PGH d'avoir passé sous silence les atrocités perpétrées par les Versaillais et défend "la première République sociale". Suivent des extrapolations relatives à la situation politique du moment. L'auteur affirme également que "Paris... mai 1871" est d'un auteur anonyme, ce qui n'était pas le cas, PGH étant nommément cité dans l'introduction.
Ce n'est pas à moi de prendre parti entre deux rédacteurs dont l'un est décédé et l'autre... je n'en sais rien, et pour cause. Je veux juste souligner que si mon père était choqué, en tant qu'historien et pacifiste, par les dégâts causés dans la ville de Paris, il l'était encore plus par la violence de la répression versaillaise, et je l'ai souvent entendu exprimer fortement son indignation au sujet de "Monsieur Thiers".
Il aimait également à répéter la réponse de Gavroche quand on lui demandait pourquoi il brûlait des livres : "Parce que je ne sais pas lire." (je cite de mémoire).