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Les articles de Pierre G. Harmant

Article paru dans Kodéco - Avril 1960 - pp. 20-21

Quand les portraits étaient garantis...

Il est bien difficile, à nous autres gens du milieu du XXe siècle, d'imaginer ce qu'était la photographie il y a seulement cent ans...

Calotype
Une photographie d'amateur datant de 1840 (calotype).

Voici comment on procédait, lorsque l'on désirait enregistrer un portrait :

"On mettait sur le front de la personne dont on voulait faire le portrait un petit carton avec un mot écrit à l'envers : c'était là un moyen indispensable pour bien mettre au point. La chemise blanche du modèle venant trop vite, on était obligé de la recouvrir d'une étoffe noire que l'on enlevait pendant l'opération. J'ai souvenance (écrit R. de Brébisson, à qui sont empruntées ces réminiscences) d'avoir vu confectionner des bonnets écrus, parce que le blanc ne réussissait pas bien. On employait aussi des verres colorés, pour empêcher le soleil de frapper trop vigoureusement sur les yeux du patient, car il était rare de trouver des modèles capables de fixer le soleil. Pour les gens qui avaient l'habitude de porter des lunettes, on était obligé de leur procurer une monture sans verres, afin d'éviter un miroitement qui eût été nuisible à une bonne réussite. Il me serait impossible d'énumérer tous les petits moyens que l'on était obligé de mettre en oeuvre ; mais la cause principale des insuccès résidait surtout dans la difficulté que l'on éprouvait de trouver des gens capables de poser longtemps, tout en conservant l'immobilité nécessaire.

"Jadis, il n'y avait de photographes professionnels que dans les grandes villes et, à l'époque du daguerréotype, mon père était le seul à pratiquer cet art à Falaise. En principe, il était très heureux d'avoir une occasion de se procurer des modèles ; d'abord, ce furent ses amis qui vinrent poser, puis des gens qu'il connaissait un peu et, bientôt presque toute la ville passa par son atelier de pose.

"Dans une ville où l'on est connu de tout le monde, il est bien difficile de refuser à l'un ce que l'on a accordé à l'autre, et maintes fois, j'ai entendu dire à la personne qui se présentait : "Je n'ai sans doute pas l'honneur d'être connu de vous, Monsieur, mais je suis le neveu d'un tel !..."

"Lorsque la "clientèle" augmenta, comme les plaques argentées étaient assez chères, un marchand eut l'idée d'en prendre en dépôt, et quand un "client" venait demander à être tiré en portrait (c'était la phrase traditionnelle), mon père, en fixant l'heure et le jour de la pose, lui recommandait d'apporter une plaque.

"Si ce métier de portraitiste volontaire avait parfois son côté comique, il avait aussi son côté ennuyeux. J'en ai entendu qui demandaient, au milieu de la pose, s'il fallait continuer à rester immobile. D'autres, faisant des efforts surhumains pour ne pas remuer, même les paupières, finissaient par contracter le visage en une grimace épouvantable qui faisait tout manquer. Un jour, un modèle, au milieu de la pose, dit : "Monsieur je voudrais bien deux portraits". "Vous choisissez bien votre moment", lui fut-il répondu. Naturellement, l'épreuve était perdue !...

"Madame de M..., par suite d'un tic nerveux, avait la tête sans cesse en mouvement. Tous les raisonnements qu'on put lui tenir pour lui prouver qu'il serait impossible de réussir son portrait furent inutiles. Lassé de résister, à la fin, mon père consentit à tenter l'expérience : pendant la moitié de la pose, tout alla bien ; mais, bientôt, les mouvements reprirent de plus belle. Ce fut encore une plaque de gâchée et l'essai ne fut pas recommencé.

"Il est juste de dire aussi que peu de gens savent mettre en pratique le proverbe : "A cheval donné,il ne faut pas regarder la dent", et fort souvent mon père recevait des observations d'une bienveillance douteuse. Combien de personnes, après avoir fait faire leur portrait, se trouvent mécontentes du résultat : c'est que l'on ne se connaît pas très bien parfois, ou bien l'on se fait de sa personne physique une idée supérieure à la réalité, raisons pour lesquelles on ne se trouve pas toujours satisfait d'un portrait très ressemblant.

"Il y avait aussi les observations ridicules : "Mais, Monsieur, je n'ai pas de noir sous le nez", ou bien : "Pourquoi m'avez vous fait un côté noir ?" Ou encore : "Voyons je n'ai pas un côté plus petit que l'autre..." Pour tous ceux qui protestaient de cette façon, il aurait fallu des épreuves obtenues de face, en pleine lumière, de façon à ne jamais avoir d'ombres dont ils ne comprenaient pas l'effet".

Portraits garantis

Ces souvenirs sont extraits d'un ouvrage écrit par R. de Brébisson, le fils de Louis Alphonse de Brébisson (1798-1872) et donnent une petite idée de l'ignorance en laquelle se trouvaient ceux qui étaient les bénéficiaires du nouvel art... Ils constituaient les petits incidents de la vie du photographe professionnel.

L'amateur de son côté, devait se munir d'un véritable fourniment où rien ne manquait. H. de la Blanchère nous en donne un aperçu dans son "Répertoire Encyclopédique".

Si vous pouvez développer les épreuves le soir, en revenant, le succès en sera plus assuré. Il faudra, dans ce cas, faire construire une boîte contenant les objets suivants, un peu plus nombreux que pour le collodion humide.

Comme il est aisé de le prévoir, cette caisse peut être envoyée en avant par les moyens qu'offre le pays ; elle constitue un laboratoire suffisant pour les besoins ordinaires.

Nous ne parlerons pas pour cette fois du procédé au collodion humide.

Voilà, n'est-il pas vrai, de quoi faire réfléchir lorsque l'on hésite à emporter son appareil (et une provision de films...) Mais, si, aujourd'hui, nous avons la possibilité de mettre dans une poche tout ce qui nous est nécessaire pour rapporter de bons souvenirs de vacances, n'oublions pas que nous le devons à tous ceux qui nous ont précédés dans cette Maison [Kodak-Pathé, note du webmaster].

Petit matériel de labo photo, dessin anonyme
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