Les articles de Pierre G. Harmant
La photographie égratignée
Note - cet article cite des pièces appartenant à la collection de PGH mais n'est pas signé.
La découverte de la photographie et l'extraordinaire succès que celle-ci rencontra aussitôt auprès du public déclenchèrent bientôt une levée de crayons, ceux des caricaturistes de l'époque qui se mirent à égratigner, voire à griffer et à mordre, ce nouveau moyen d'expression. Il est bien difficile de savoir aujourd'hui si ces attaques étaient ou non dénuées de quelque jalousie ou d'une certaine irritation de voir ce procédé permettre à chacun de reproduire la nature, sans exiger de dons naturels, contrairement à l'art du dessin. Peu importe d'ailleurs, l'essentiel étant que les caricaturistes aient trouvé, en la photographie, une tête de turc digne de provoquer et d'exercer leur esprit. Ajoutons qu'après avoir rompu bien des crayons dans cette joute, un certain nombre de dessinateurs se firent les vassaux du nouvel art... et y prospérèrent. Les dessins et historiettes publiés ici sont extraits d'une brochure écrite par E. Dacier et datant de 1905 et nous fut obligeamment prêtée par P. G. Harmant dont on on connaît le goût pour ce qui touche à l'Histoire - petite ou grande - de la Photographie.
En dépit de son succès, la photographie semble n'avoir pas toujours fait celui de ses prêtres qui se plaignent amèrement (mais en vers) de leur sort. Ainsi ces couplets mélancoliques datant de 1861 :
Tu veux déserter la peinture,
Ne vas pas choisir l'objectif :
C'est un instrument de torure.
Fais-toi quaker, fais-toi mormon,
Fais-toi même bonapartiste,
Mais jamais photographe - oh ! Non !
Le sort du forçat est moins triste".
Bien avant 1900, un nouveau personnage apparaît dans les campagnes : le photographe ambulant. Bien entendu les humoristes ne manquèrent pas d'exploiter ce filon.
- - Une fille de ferme, qui vient poser, a pris soin de serrer le bas de sa jupe avec un cordon, parce qu'on lui a dit que le photographe la verrait la tête en bas.
- - "Combien qu'ça coûtera pour photographier mes enfants, demande une paysanne.
- Dix francs, la douzaine, lui répond le photographe.
- Alors, il faudra attendre au moins deux ans, car vous voyez, je n'en ai encore que neuf !..."
De même que les "paysanneries", les scènes militaires, déjà largement exploitées au Café-Concert au début du siècle, ont excité la verve des caricaturistes :
- - Un sergent se fâche parce qu'on lui propose de "se faire faire en dégradé".
- - Un chasseur à cheval, qui, après avoir posé en grande tenue, demande une douzaine d'épreuves, dont six en petite tenue de corvée."
- - Un cuirassier qui se fait photographier en buste et demande ensuite où sont ses éperons.
Un tourlourou pose ses conditions (Le Petit Journal pour rire - 1878) :
- "Je voudrais que vous me tiriez, dit-il au photographe, que je soye une main sur la poignée de mon sabre, et l'autre censément lire une lettre du pays où Germaine me marque qu'elle se porte bien, que ses sentiments sont toujours les mêmes et qu'elle désire que je lui marque la réciproque, dont c'est mon intention relatif"
On a depuis longtemps coutume de dire qu'en France tout finit par des chansons. Rien mieux que la chanson, paraît-il, ne reflète plus exactement notre caractère et notre esprit. Cette formule, qui nous fait tant honneur, est certainement justifiée. Pourtant il est chez nous un autre épilogue à la plupart des évènements de notre histoire, quel que soit leur caractère, c'est la caricature. On vient de voir, dans cette trop courte promenade rétrospective, que la photographie n'a pas échappé à sa souriante causticité. N'était-ce pas déjà pour la photographie naissante un brevet de résussite ?